Les Echos, 12 mai 2011
Soulignant que l'impôt sur le revenu contribue de moins en moins à réduire les inégalités et présente un rendement médiocre, le Conseil des prélèvements obligatoires, rattaché à la Cour des comptes, suggère soit une refonte ambitieuse, soit la création d'un nouvel impôt progressif.
Haro sur l'impôt sur le revenu ! Alors que le PS a fait de sa réforme, via une fusion avec la CSG, un point clef de son programme économique pour 2012, le Conseil des prélèvements obligatoires, rattaché à la Cour des comptes, a appelé hier à une refonte rapide de cet impôt, voire à son remplacement par un nouvel impôt progressif. Le CPO « estime qu'il ne s'agit plus désormais de procéder à des modifications qui remédieraient, ici ou là, à ses insuffisances, mais est d'avis qu'il faut engager une réflexion et une réforme ambitieuse », a déclaré Didier Migaud, en présentant aux députés le rapport du CPO sur les effets redistributifs des prélèvements obligatoires.
Et le premier président de la Cour des comptes de justifier ce discours : « L'impôt sur le revenu a vieilli. Plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis la dernière réforme d'envergure ; ses défauts se sont accentués ; ses recettes sont désormais faibles et il a perdu l'efficacité redistributive et économique qui lui était assignée. » Le rapport détaille ces griefs, qui, pour certains, sont largement partagés par des élus de la majorité (sur les niches notamment). L'impôt sur le revenu ne représente plus que 2,6 % du PIB, moitié moins qu'en 1985. « C'est le taux le plus faible des pays de l'OCDE et ses recettes d'environ 50 milliards d'euros stagnent depuis vingt ans », pointe Didier Migaud.
Mité par les niches
L'impôt sur le revenu est à la fois très concentré, puisque 74 % de son produit sont acquittés par les 10 % de ménages ayant les revenus les plus élevés et 47 % des ménages ne sont pas imposables. En même temps, il est devenu moins progressif et moins redistributif. En cause, son barème, maintes fois révisé, dont le taux marginal (41 %) est désormais inférieur à celui de l'Allemagne (45 %) et du Royaume-Uni (50 %). Surtout, les niches fiscales ont considérablement mité son assiette. Enfin, la généralisation du prélèvement forfaitaire libératoire (PFL) pour les revenus du capital et du patrimoine a eu un « effet régressif important », en bénéficiant aux plus aisés : l'IR taxe plus les revenus salariaux que les revenus des capitaux mobiliers.
Tout cela conduit à un paradoxe relevé récemment par l'économiste Thomas Piketty : le taux moyen d'imposition sur le revenu diminue au sommet de la pyramide. Il culmine à 20,5 % pour les 0,1 % de contribuables déclarant les revenus les plus élevés, mais diminue ensuite à 17,5 % pour les 0,01 % (3.523 personnes) les plus aisés et à 15 % pour les derniers 0,001 %.
Le CPO souligne enfin que la France se singularise, au travers du quotient familial (qui n'existe qu'au Portugal et au Luxembourg) et conjugal, par une forte redistribution horizontale, ce qui limite de facto la redistribution verticale : « D'autres dispositifs d'aide aux familles, avec des effets non régressifs, seraient envisageables, comme le crédit d'impôt forfaitaire aux Etats-Unis ou une réduction d'impôt qui existe en Italie ou en Autriche », estime Didier Migaud.
Que faire, plus globalement ? Une réforme ambitieuse pourrait passer par une révision de tous les travers recensés : suppression massive de niches, révision des taux, intégration des PFL dans le barème, etc. Mais le CPO semble préférer une option plus radicale : « L'autre branche de l'alternative consisterait à prendre acte du fait que réformer l'IR est désormais une opération si complexe qu'il convient [...] de le faire disparaître et de recréer un impôt à vocation progressive. » Didier Migaud ne s'est pas prononcé, hier, sur la proposition de fusion de la CSG et de l'IR. Mais les socialistes auront trouvé matière à nourrir leur argumentaire dans le rapport du CPO.
ETIENNE LEFEBVRE