Directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et professeur à l'Ecole d'économie de Paris, Thomas Piketty est un économiste proche du Parti socialiste. Il a créé un simulateur permettant d'évaluer les effets des réformes fiscales.
Comment jugez-vous la réforme de l'impôt sur la fortune ?
L'objectif était circonscrit : supprimer le bouclier fiscal, sans avoir l'air de trop se renier. Au final, c'est le plus énorme cadeau fiscal aux plus riches du quinquennat ! On remplace un cadeau fiscal, le bouclier, par un autre cadeau fiscal, trois à quatre fois plus gros. C'est une folie de perdre des milliards quand les caisses publiques sont vides, que les patrimoines ne se sont jamais aussi bien portés et que les revenus stagnent. On fait le choix de la fortune acquise, contre le travail, les classes moyennes et populaires. La priorité c'est alléger les impôts sur les revenus du travail, salarié et non salarié.
Le gouvernement assure que sa réforme sera financièrement neutre. Qu'en pensez-vous ?
Ses chiffrages sont faux. Il prétend que la perte de recettes sera de 600 millions d'euros avec la baisse des taux, plus 300 millions avec le relèvement du seuil d'entrée à 1,3 million de patrimoine. En réalité, du fait de ces deux mesures, les recettes d'ISF vont tomber de 4 milliards à 1,8 milliard. La perte sera sans doute encore plus forte (3 milliards) car il faudra aménager les taux pour lisser les effets de seuil.
Qui gagne le plus à la réforme ?
Le plus gros bénéfice sera pour les contribuables ayant plusieurs millions ou dizaines de millions de patrimoine. Les quelque 1 900 foyers au-delà de 17 millions de patrimoine (dont le taux passera de 1,8 % à 0,5 %) verront leur note divisée par plus de trois. Ils économiseront en moyenne plus de 160 000 euros.
Mais, en contrepartie, le gouvernement durcit la taxation des donations...
On va faire payer la baisse de l'ISF par des contribuables non concernés par cet impôt. L'allégement de la taxation des donations en 2007 était excessif. Mais on n'a pas eu le temps d'évaluer l'effet de ces mesures sur les transmissions de patrimoine que déjà on revient en arrière !
Le PS fait de la réforme fiscale l'une de ses priorités. Que pensez-vous de ses propositions ?
A ce stade, c'est très flou. Le PS affiche de bonnes intentions. Mais il va lui falloir trancher quelques points durs. J'espère que les primaires permettront de préciser la pensée.
Le PS prône, comme vous, une fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG. Cela vous satisfait-il ?
Oui, mais il faut sortir du consensus mou qui consiste à dire " on veut fusionner ". Il faut dire comment. Or, les socialistes ne sont pas d'accord entre eux sur la manière d'arriver à cette fusion - en une seule fois ? par étapes ?, - ni sur ce qu'elle implique. Par exemple, le programme du PS annonce " l'individualisation progressive du prélèvement ", mais ne donne aucun calendrier, et certains candidats aux primaires semblent ne rien vouloir changer au système actuel du quotient conjugal, qui est pourtant très défavorable pour les femmes.
Craignez-vous l'immobilisme ?
La gauche a été au pouvoir dix ans au cours des vingt-cinq dernières années. A chaque fois, elle a dénoncé les baisses d'impôts faites par la droite. Jamais elle n'est revenue dessus. Jamais elle n'a entrepris de réformer l'impôt sur le revenu. La question fiscale peut la faire gagner, mais peut aussi la faire perdre. Si elle reste floue dans ses intentions, la droite ne manquera pas de la caricaturer en disant que les classes moyennes seront matraquées.
La droite dit déjà que la fusion impôt sur le revenu-CSG pénalisera les classes moyennes...
Ce n'est pas vrai. En renforçant la progressivité du prélèvement et en appliquant le barème d'imposition à l'ensemble des revenus soumis à la CSG, y compris les revenus du patrimoine, on a 85 % à 90 % de gagnants jusqu'à 6 000 à 7 000 euros de revenu mensuel individuel. Avec le barème que nous proposons, le taux d'imposition est de 2 % à 1 000 euros par mois, 10 % à 2 200 euros, 13 % à 5 000 euros, puis monte progressivement à 25 % à 10 000 euros et 60 % à 100 000 euros (soit 1,2 million d'euros par an). Chacun peut choisir un autre barème, plus ou moins lourdement progressif que celui que nous favorisons, et vérifier les conséquences sur l'équilibre budgétaire et les inégalités. En toute transparence. A chacun de prendre ses responsabilités.
Le gouvernement veut que les sociétés qui augmentent les dividendes versent une prime à leurs salariés. Que pensez-vous de ce projet ?
Le gouvernement va dépenser près de 3 milliards pour les contribuables les plus fortunés et dans le même temps dit aux entreprises : " ce serait sympathique s'il y avait un chèque de 1 000 euros pour les salariés ". C'est insupportable. La rémunération du travail, c'est le salaire. Inventer des intéressements, participations, primes défiscalisées, c'est malsain. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il y a trop de niches. Et on en recrée ! Pour agir sur le pouvoir d'achat, il faut revaloriser les salaires. La réforme fiscale que nous proposons intègre la prime pour l'emploi dans le salaire direct pour les plus bas salaires et renforce la progressivité du prélèvement fiscal. Au niveau du smic, le taux de prélèvement tomberait de 8 % à 2 %, assurant une hausse du salaire net de près de 100 euros par mois.
Propos recueillis par Philippe Le Coeur